LA CONFIDENCE

1503-GrosDan003Les dernières semaines m’ont donné l’inspiration naturelle pour vous écrire cette petite confidence… C’est, en effet, en parcourant le world wide web, çà et là ces derniers temps, que m’en est venue l’idée. A force de voir des perles déferlées en line-up sur mon écran, c’était trop d’émotions. Pourquoi mettre à nu des spots aussi discrets que fantastiques ? Les photographes s’en foutent ou n’ont-ils pas tous la même culture et sensibilité surf ? Certains ne se souciant d’aucune confidentialité quant aux indices dévoilés sur les photos de vagues méconnues du plus grand nombre.

Pour la petite anecdote, Il y a une quinzaine d’année Gaël Blouët, cousin éloigné du Porzay, hot local de La Palue toute sa jeunesse et aujourd’hui shaper en charge de la production chez Channel Islands, me parlait de ses sessions solos ou quasi solo lors de mes passages réguliers dans son atelier de Crozon. Une vague improbable et rare mais d’une qualité exceptionnelle que j’ai eu la chance de découvrir un peu plus tard. Je ne sais pas s’il a vu comme moi dernièrement ce line-up et ces nombreuses photos et vidéos mais cela a dû lui faire tout drôle.

Pour partager il faut faire confiance. On ne donne pas ses infos que l’on a collectées avec le temps sur plusieurs années au premier venu. Il y a des choses que l’on peut dire et des choses que l’on se garde bien de dire. Ce n’est même pas égoïste c’est juste un sentiment d’affection pour un endroit et d’appropriation qui vient au fil du temps qui passe et des sessions que l’on enchaîne sans encombre. Hé oui le partage à ses limites même si c’est dur à dire et à entendre.

Pour ce qui est des photos une exhibition technique en plan serré ne donne en rien des indications de localisation sur le spot si on prend au moins la peine de ne pas poster le jour de la session ou dans les jours suivants le hod-up ! Pour une exhibition de line-up, là c’est beaucoup plus compliqué. Et pourtant que j’aime voir des line-up, que c’est beau, que ça me transcende ! Ça fait tellement rêver et travailler votre imagination de surfeur.

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Alors si on vous donne, vous prenez évidemment, mais si vous cherchez et tâtonnez la saveur n’est pas la même. L’investissement personnel et humain dans votre passion pour les vagues vous permettra de partager des bons moments à l’eau avec d’autres riders qui vous respectent parce que vous respectez les règles de convivialité, de bienséance et de confidentialité sur des spots peu connus. Parce qu’ils savent que vous vous exprimez avec réserve et c’est ainsi que naît cette confiance dans le partage.

Donc le « tout de suite tout cuit » dans le bec ça m’exaspère un peu…

Ainsi, l’amour qu’il me reste de certaines vagues que j’ai longuement côtoyé durant mon exil étudiant brestois de 6 belles années, et auxquelles je pense régulièrement, est devenue une certaine forme de richesse culturelle surfistique intérieure qui me donne un certain recul sur l’évolution du Surf en général. Nous avons tous des spots où la première session s’est méritée au bout de quelques expéditions et dont même sans photos vous gardez quelques images gravées à jamais.

Ainsi, les techniques de recherche ont évolué. A Brest, on répertoriait sur une carte routière avec les potes les différents bons breaks ou tout du moins ce que l’on pouvait trouver à se mettre sous la planche. A force de passage sur certains endroits on finissait par bien les connaître et finalement par scorer un jour parfait et vivre des moments magiques en petit comité… ! Ce que j’avais nommé dans une petite étude sociologique « La pratique du surfeur itinérant stratégique » Force est de constater que cette époque est déjà révolue.

Ces derniers temps, l’envie de partager ou d’exhiber des spots est trop forte ou trop facile et s’accélère donc à la vitesse de la fibre optique. Aujourd’hui, sans mettre le nez dehors et en restant derrière un clavier on recoupe des informations météos avec des photos de divers forum ou réseaux sociaux pour préparer sa prochaine virée… Beaucoup moins de charme et humainement faible mais diablement efficace.

Montrer, publier c’est faire découvrir mais il y a manière et manière de faire avec plus ou moins de retenue c’est-à-dire sans problème sur les spots réguliers et connus d’une majorité de surfeurs. Certes un line-up plein les yeux à 180° avec le maximum de décor c’est magnifique. Mais que reste-t-il de la belle confidence faite quelques années plus tôt à un ami ?

S’il est normal que sur tout spot la fréquentation tende à s’accroitre naturellement et que nous n’avons pas d’autre choix que de l’accepter, pas la peine d’accélérer le phénomène. Mais le vrai secret que vous avez construit et gardé depuis des années à grand coups d’escapades et de connaissances empiriques parce qu’il ne marche que 5 fois dans l’année ? Doit-on dire dès à présent que dans nos zones côtières peuplées et Google maximisées il n’y a plus de secrets qui tiennent ? Doit-on abdiquer face aux déferlements d’informations continues ?

Si on met au grand jour l’un de vos spots les plus chers, vous le vivrez telle une trahison. Bon certes, on reste dans le domaine des loisirs mais quand même un peu de retenue serait la bienvenue. Et pour autant que le localisme primaire, grégaire ne soit pas permis de mon point de vue, on peut comprendre parfois les agacements de certains locaux discrets. Pour le reste à l’eau comme dans la vie de tous les jours, seul le respect peut imposer le respect.

Pour ce qui est de la divulgation, on se justifie parfois ainsi : « ça ne marche jamais de toute façon et ceux qui l’ont vu au détour d’un écran ne s’en rappelleront pas la prochaine fois. » Mais justement quand ça marche, cela pourrait tellement être l’occasion d’une bonne session bien tranquille…

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Le problème de tous ces point breaks ou slabs qui s’apprécient avec les grosses et/ou longues houles de l’hiver ici avec un vent de nord ou là avec un vent de sud c’est que souvent le peak n’y est pas bien large et qu’ils sont souvent très liés au phénomène de réfraction autour d’un cap, d’une pointe ou autres. Les séries peuvent donc être longues à venir… Donc si la fréquentation du spot s’accroît de façon exponentielle, mathématiquement c’est juste la mort du spot… Et je connais plus de monde à se mettre au surf qu’à arrêter le sport des rois hawaiiens. Vous en connaissez beaucoup des surfeurs qui mettent la planche au placard ?! Donc un conseil si vous en avez marre de partager, si vous êtes aigris de ne pas en attraper assez et que vous souhaitez vous sevrez, mettez-vous à la course à pied ou allez compter les carreaux à la piscine vous serez peinard ! (Joke Inside, second degré obligatoire…)

Ci-dessous, petit interview de mon ami Kristen “K2000” Pelou en guest qui répond à mes petites questions et s’exprime sobrement sur le sujet du jour avec toute l’expérience et la maturité qui le caractérise :

– Dans quelle mesure publies-tu un line-up ? Quels sont clairement les motifs qui peuvent parfois t’en empêcher ?

Cela fait tout d’abord TRES longtemps que je n’ai pas publié le moindre line up.

Quand je fais une image, il y a d’abord l’intérêt de faire ou non cette image, faire une image de ce que l’on voit ou bien la garder dans sa tête comme un souvenir qui va parfois se bonifier avec l’âge comme tous les bons souvenirs.

Une fois la photo réalisée, le but est de la partager, faire un tirage, la publier. Je ne gagne plus ma vie avec la photo de surf même si j’ai sans doute apporté ma petite pierre à l’édifice de la médiatisation du surf local.

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– La population surfe va croissante et parallèlement l’information passe beaucoup plus vite qu’il y a 20 ans d’où une surpopulation programmés de secret spots. Tréboul en est très certainement le symbole en Bretagne. Qu’en penses-tu ?

Le problème n’est pas de publier la photo. Je dirais qu’à un moment, une époque, les photographes étaient pointés du doigt parce qu’ils montraient des choses qui ne devaient pas être vues. En Bretagne, quand, le problème ne concernait qu’une poignée d’individus, ces fameux “itinérants stratégiques” introduits dans l’œuvre de ta vie, ça allait. Aujourd’hui, la population surf a plus que décuplée (t’es pas prof de surf Dan ??) et parallèlement, les moyens d’informations sont bien plus performants qu’avant. Il y a 20 ans, tout le monde attendait le Trip Surf ou le Surf Session qui sortait une fois par mois ou le guide StormRider publié tous les 4 ou 5 ans. Chacun lisait son petit magazine dans son coin et même si une image retenait l’attention, le mieux que l’on pouvait faire c’était de la montrer à des potes et d’en discuter. Aujourd’hui, une image qui apparaît quelque part sera vite partagée mais surtout commentée et analysée par tout un tas de gens que l’on ne connait souvent pas. Analysée pour en connaitre le lieu, la date, les conditions.

Et comme c’est un peu dans la nature humaine de vouloir briller, de montrer que l’on sait, il y aura toujours un mec pour lâcher le morceau pour avoir sa minute de gloire virtuelle (plein de j’aime sur sa page FB, belle récompense). Les premières photos de Tréboul ont dû sortir dans un Stormrider il me semble ou dans un des premiers TripSurf sur la Bretagne mais dans la pratique, les langues sur le parking parlaient déjà depuis un bon moment de cette gauche légendaire de la pointe Bretagne. Les mecs qui connaissaient le lieu ont emmené des potes qui ont à leurs tours emmené des potes et c’était parti. Ça a été comme cela pour moi mais c’est un peu la même histoire partout. Pour les Kaolins, les gars du coin étaient tellement fiers de pouvoir dire qu’ils avaient dans le coin une vague qui tabassaient qu’ils en parlaient d’eux même. Ça a fait boule de neige sur les forums naissants et la foule a rappliqué.

Pour le côté pratique, à Trétréboul comme aux Kaos, Il n’y a qu’un peak, le spot est full avec 10 personnes à l’eau. Au-delà de ce nombre, il y aura toujours les 5-10 mêmes mecs qui prendront les vagues, les autres se contenteront des restes. Tout le monde connait les règles en se mettant à l’eau ; râler ensuite à propos de la surpopulation et mettre une sale ambiance à l’eau ne règlera pas le problème mais feras de toi un connard de plus à l’eau !!

De mon côté, j’ai un peu lâché l’affaire sur cette histoire de secret spots, pas si secrets ou vraiment secrets etc, etc,… je n’en parle pas, un point c’est tout. L’important pour moi est plus de prendre du plaisir à aller surfer, même si je ne prends pas énormément de vagues, je suis en général content d’être à l’eau, de shooter des images, de surfer ou de voir d’autre gars prendre de bonnes vagues. Ça me met le smile et je sors rarement frustré d’une session. Il n’y a pas d’histoire de performance, de quota de vagues ou de rentabilité d’une session de surf qui sont, pour moi, autant d’éléments qui contribuent à mettre une sale ambiance.

Coté photographes, difficile de jeter la pierre à ceux qui postent des photos sur internet alors que j’ai moi-même diffusé des images de spots peu connus dans la presse (de Bretagne ou d’ailleurs). J’ai toujours tenté d’inciter les gens à la recherche sans donner trop de précisions sur le lieu mais au bout du compte, on voit le résultat.

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– Quand on est photographe on a forcément envie de partager la beauté de ses images mais avec plus ou moins de retenue. Penses-tu que les photographes amateurs d’aujourd’hui se lâchent parce qu’ils sont démunis de culture surf ou te sens tu “vieux con” spécialiste de la censure ?

Le monde change et évolue, Daniel, ça n’a pas grand chose à voir avec la culture surf. Tu as les réseaux sociaux, les blogs, les forums, twitter, FB, Instagram, Google …, et tous ces trucs sur lesquels tu peux partager ta vie avec le reste de la planète. De gens que tu ne connais pas mais qui t’aime quand même et plus il y en a, mieux c’est. Il faut exister et pour exister, il faut pondre de l’actu, de la news, des infos fraiches, des photos pour gagner des followers et avoir des likes et si pour avoir des likes, il faut publier des photos, on publie des photos … C’est le XXIeme siècle mec. En exagérant, on peut presque se demander si faire une session de surf (faire son footing, du ski et toute autre activité) sans ensuite la publier sur FB vaut vraiment le coup, a-t-on vraiment fait cette session si personne ne l’a likée ?

Chacun voit les choses selon son propre point de vue, je n’ai pas vraiment de leçon à donner la dessus. La retenue, la censure, pourquoi faire des photos si c’est pour ne pas les montrer. Si tu fais une photo d’un spot, tu fais un cadrage dans lequel tu inclus tel ou tel élément qui rendra ta composition intéressante. Si tu estimes avoir une photo qui tue, pourquoi ne pas la montrer ? Libre à chacun ensuite de se montrer critique envers le travail publié en fonction de différents critères : artistique, informatif … ? Au siècle dernier, lorsque j’ai publié mes premières images, les magazines cherchaient des photographes et n’en trouvaient pas. J’avais l’occasion de publier une ou deux photos par mois, j’envoyais même des photos pas très nettes et le maquettiste se démerdait pour que ça ressemble à quelque chose sans trop râler. Aujourd’hui, on peut publier 10, 100, 1000 photos par jour si on veut. L’idée est juste de savoir trier les images et ne publier que celles qui le méritent. Ça s’apprend, comme tout.

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La réalité est là, il ne suffit pas d’acheter une go-pro pour se transformer en Don King du jour au lendemain et on n’a malheureusement pas tous le niveau de J.O.B ou plus localement de Vincent Duvignac, pour se filmer dans des barriques bien ventrues en slip de bain fluo. Donc, si malgré des résultats très peu flatteurs, vous continuez à vous filmer avec vos go-pro et si vous continuez à shooter à tout va, si l’audience apprécie le travail, continuez, faites-vous plaisir, il en sortira peut-être du bon un jour !

De mon côté, j’aime bien surfer tranquille, j’ai fait pratiquement tous mes trips dans des endroits que peu de monde fréquentait. Sur la Bretagne, plein de photos de spots dorment dans un coin et attendent de nouvelles images pour les compléter, un projet sur le très long terme pourrait-on dire.

De façon générale, dans mon travail personnel, je privilégie la démarche, le pourquoi de la photo. Il faut tout d’abord trouver l’idée qui vaut le coup : le bon sujet, le bon endroit au bon moment avec en plus une bonne raison d’appuyer sur le bouton. Rassembler ensuite ces images, les trier pour présenter un ensemble cohérent. En bref, quelque chose qui retient l’attention pour que je puisse briller à mon tour !